Said et Yarg : Cinq ans plus tard, qu’est-ce qui a changé ?

15 December 2022

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Écrit par Menka Sandrasagren, Assistante Administrative à Minority Rights Group International

Saïd Ould Salem est né en Mauritanie en 2000. Trois ans plus tard, sa mère donne naissance à son frère Yarg. Parce qu’ils appartiennent à la communauté Harratine, ils sont réduits en esclavage dès leur naissance. Ils sont nés dans la maison maure blanche El Hassine, qui les réduits en esclavage, les forçant à faire ce qu’on leur disait sous menace de coups ou de torture.

Ils passent leur enfance à garder des chameaux sous un soleil brûlant et ne sont pas autorisés à aller à l’école, contrairement aux enfants d’El Hassine. Ils passent la plupart de leur temps à l’extérieure avec les animaux. Ils sont forcées d’effectuer des tâches domestiques sans salaire, sans temps libre et sans temps pour jouer ou être des enfants. Au lieu de leurs noms, ils étaient simplement appelés “esclaves”. Saïd explique :

« Nous n’avions pas le droit de manger la même nourriture que le reste de la famille, ni de dormir dans les mêmes chambres, ni de porter les mêmes vêtements. Nous n’étions pas égaux au reste de la famille, c’était évident. Ils nous battaient pour n’importe quelle raison, et parfois nous ne connaissions même pas la raison. »

Bien qu’aboli depuis longtemps, l’esclavage persiste en Mauritanie. Elle touche principalement les Harratines, un groupe ethnique noir historiquement asservi par la majorité maure blanche du pays. L’étendue de son existence aujourd’hui est contestée et difficile à déterminer avec précision, avec des estimations allant de 1 à 20 % de la population. Ce qui est certain, cependant, c’est que, qu’ils aient ou non réussi à obtenir la liberté, les Harratines vivent dans des conditions de grande pauvreté et dans le déni de leurs droits humains.

En avril 2011, Saïd réussit à s’échapper de l’emprise de son esclavagiste. Avec l’aide de sa tante et des organisations locales SOS-Esclaves et IRA Mauritanie, Saïd engagea un avocat pour poursuivre ses esclavagistes et libérer son frère. Ahmed Ould El-Hassine, chef de famille, fut reconnu coupable d’esclavage et de non éducation d’un enfant, et fut condamné à deux ans de prison. Les frères El Hassine furent reconnus coupables de ne pas avoir alerté les autorités de la situation et ont été condamnés à deux ans de prison avec sursis. Ils furent également été condamnés à payer des réparations à Saïd et Yarg.

Cette affaire fut la première du genre au niveau national, où un esclavagiste fut poursuivi et condamné en vertu de la loi de 2007 qui criminalise l’esclavage et les pratiques analogues à l’esclavage en Mauritanie. Pourtant, même ces peines indulgentes n’ont pas été réalisées. Saïd et Yarg attendirent des années avant que leurs bourreaux ne soient traduits en justice.

Quatre mois plus tard, les esclavagistes furent libérés sous caution, dans l’attente d’un appel. Cette audience, prévue en novembre 2012, n’eut pas lieu car les prévenus étaient introuvables. Quatre ans plus tard, les garçons attendaient toujours. Puis, avec le soutien de Minority Rights Group International, leur cas fut porté devant le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant (CAEDBE). Cela incita finalement les autorités mauritaniennes à agir et l’audience d’appel fut finalement organisée pour novembre 2016.

Suivant l’audience d’appel, les peines de deux ans des accusés restèrent inchangées, même si la loi prévoit cinq à dix ans de prison pour le crime d’esclavage. La Cour d’appel augmenta légèrement le montant de l’indemnité accordée aux frères. Un recours fut alors interjeté devant la Cour suprême de Mauritanie, qui malheureusement confirma l’arrêt de la Cour d’appel de 2018.

Cette histoire n’est pas une anomalie. La longue bataille juridique des frères trahit une réticence généralisée à traduire les auteurs en justice, dans un système judiciaire où, comme le dit Aboubekrine e Yehdhih, « de nombreux magistrats estiment que l’esclavage ne peut être aboli par l’État : à leurs yeux, les Haratines restent des esclaves à moins qu’ils ne soient explicitement libérés par leurs anciens maîtres.

Cependant, en décembre 2017, la Mauritanie fut trouvée avoir manqué à ses obligations de protéger les droits de l’enfant en vertu de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant. Le CAEDBE constata que l’inaction des autorités mauritaniennes face à l’esclavage avait abouti à une situation d'”impunité”. Il demanda en outre à la Mauritanie d’apporter des modifications profondes à la politique et aux pratiques nationales pour éliminer l’esclavage et les pratiques analogues à l’esclavage. Pour Said et Yarg, cette décision conduit à la réalisation de leur citoyenneté, ce qui leur permit d’enfin aller à l’école. Selon les mots de Saïd, « Nous avons attendu longtemps, et nos vies sont très différentes. Nous sommes fiers parce que nous sommes libres. Nous nous sentons comme des personnes maintenant ».

Cette affaire historique a démontré que la poursuite des recours internationaux pendant les procédures nationales en cours peuvent faire avancer de manière significative une affaire contre des esclavagistes au niveau national. Néanmoins, cette affaire démontre encore une situation intenable pour les victimes de l’esclavage en Mauritanie. Cinq ans après la décision du CAEDBE, il est inacceptable qu’elle n’ait pas été reproduite à travers le pays. Les peines légères infligées aux esclavagistes sont en totale contradiction avec la décision du CAEDBE. En Mauritanie aujourd’hui, presque tous les cas d’esclavage stagnent au stade de l’enquête et la plupart des personnes accusées en vertu de la dernière loi anti-esclavagiste ont été acquittées ou tout simplement pas condamnées. Les tribunaux spéciaux mis en place pour le crime d’esclavage manquent de ressources et sont inefficaces.

Le gouvernement mauritanien et son pouvoir judiciaire doivent travailler ensemble pour garantir que la reconnaissance officielle et légale nécessaire soit accordée aux victimes de l’esclavage pour leurs souffrances et pour l’avancement de leur vie dans la liberté et la dignité. La Mauritanie est régulièrement classée comme l’un des pires endroits au monde pour l’esclavage. Même ceux qui ont obtenu la liberté sont toujours soumis à une discrimination systémique et à une marginalisation économique.

Mais nous ne pouvons pas cesser de pousser pour la véritable fin de l’esclavage en Mauritanie. Nous attendons avec grand intérêt le prochain rapport du rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines d’esclavage, suite à sa visite en 2022 en Mauritanie. Nous espérons que ses conclusions offriront une nouvelle occasion d’encourager la Mauritanie à prendre des mesures cruciales pour assurer la protection des droits de l’homme pour tous ses citoyens, y compris les membres de la communauté Harratine.

Photo: Said et Yarg / Anti-Slavery International.

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