• Langues principales : arabe, français, chelha (dialecte tamazight)

    Principale religion : islam sunnite

    Principaux groupes minoritaires et autochtones : Tunisien.ne.s noir.e.s, amazigh.e.s, juif.ve.s, bahá’i.e.s, chrétien.ne.s, divers groupes musulmans non sunnites

    La Tunisie n’est généralement pas considérée comme un pays à forte population de minorités, ce qui transparaît dans le manque relatif d’attention qui leur est accordée par rapport aux autres pays de la région. S’il est vrai que la démographie tunisienne semble moins diversifiée que celle d’autres pays de la région, cela ne justifie pas le manque général d’informations sur ces groupes. Une telle approche risque en effet de gommer l’existence de communautés qui habitent la région depuis des millénaires et, par là même, d’asseoir leur statut secondaire.

    En matière de religion, si de nombreuses sources suggèrent qu’entre 98 et 99 % des Tunisien.ne.s sont de confession musulmane sunnite, ces chiffres sont difficiles à confirmer compte tenu de l’absence de données officielles et de la non-reconnaissance des religions autres que l’islam sunnite, le christianisme et le judaïsme. Pourtant, outre les chrétien.ne.s et les jui.ve.s, il existe aussi de petites communautés de bahá’í.e.s et de musulman.e.s non sunnites comme les communautés ibadite, chiite et soufie, ainsi qu’un nombre inconnu d’athées. Si, stricto sensu, les textes juridiques (par exemple l’article 1er de la Constitution) font simplement référence à l’« islam » sans en préciser le courant, ils visent implicitement et spécifiquement l’islam sunnite et en particulier le courant mālikīte. L’islam chiite reste largement ostracisé, ce qui explique le peu d’informations disponibles sur cette communauté, notamment au niveau des estimations de population.

    On estime qu’il ne reste qu’entre 1 500 et 2 000 personnes juives en Tunisie. Environ 500 d’entre elles vivent dans la capitale et descendent principalement de l’immigration espagnole et italienne, tandis que les autres sont concentrées sur l’île de Djerba, où elles forment une communauté dont les racines remontent à 2 500 ans.

    Comme dans de nombreux autres pays à majorité musulmane, le gouvernement considère la petite communauté bahá’íe de Tunisie comme hérétique et interdit son culte en public, bien qu’il tolère les rassemblements privés.

    Les Amazigh.e.s sont originaires d’Afrique du Nord. Le nom de Berbères qui leur est parfois attribué est largement rejeté par la communauté amazighe elle-même en raison de ses connotations négatives. En tamazight, la langue parlée par les Amazigh.e.s, le pluriel de ce nom est Imazighen, qui signifie « peuple libre ».

    Il n’existe pas de chiffres officiels sur le nombre de Tunisien.ne.s noir.e.s dans le pays. Selon les militant.e.s toutefois, leur communauté est considérablement plus étendue que ce qui est officiellement reconnu. L’organisation Mnemty estime que ses membres représentent entre 10 et 15 % de la population totale, la plupart résidant dans le Sud du pays.

    Mis à jour en novembre 2021

  • Alors que la Tunisie est jugée relativement homogène par rapport à d’autres pays de la région en raison de sa population majoritairement arabe et musulmane sunnite, cette image, continuellement promue par le gouvernement tunisien depuis l’indépendance, occulte la grande et ancestrale diversité du pays. En effet, la communauté juive de Tunisie, aujourd’hui en déclin, est l’une des plus anciennes au monde, tandis que les Amazigh.e.s vivent en tant que peuple autochtone dans la région depuis des millénaires, bien avant la conquête musulmane de l’Afrique du Nord au VIIe siècle ; une part importante de la population tunisienne est de descendance amazighe.

    Cependant, des siècles de politiques d’arabisation assimilatrices, la disponibilité limitée de données concrètes sur les minorités et les populations autochtones de Tunisie et les obstacles auxquels les communautés sont parfois elles-mêmes confrontées en matière d’identification et d’expression de soi sont autant d’éléments qui ont contribué à les invisibiliser. Tout en affectant l’ensemble de la population, le contexte général de crise économique et de chômage a également touché particulièrement durement les personnes résidant dans les périphéries du pays, qui ont été contraintes de migrer vers les grandes villes pour trouver un emploi, un processus qui peut éroder leurs traditions et leurs croyances. Étant donné que de nombreux membres de minorités ethniques et de communautés autochtones, telles que les Amazigh.e.s et les Tunisien.ne.s noir.e.s, résident dans la région pauvre du Sud du pays, ces inégalités géographiques exacerbent leur marginalisation.

    Les accomplissements réalisés par la Tunisie depuis la révolution de 2011 ont été portés par une reconnaissance croissante des minorités, des femmes et d’autres groupes, ainsi que par une volonté d’offrir à ces voix marginalisées un espace où exprimer librement leurs revendications. Il reste toutefois fort à faire pour parvenir à la pleine égalité pour tou.te.s et achever la remarquable transition du pays vers une démocratie dynamique et inclusive. Cela passe non seulement par l’abrogation de la législation discriminatoire d’avant 2011 et la mise en œuvre des engagements du pays en matière de droit international, mais aussi par la mobilisation et l’éducation à tous les échelons de la société tunisienne, y compris la police, le système judiciaire, les dignitaires religieux et le grand public. Alors que le pays a connu plusieurs attaques violentes très médiatisées visant particulièrement des sites touristiques, notamment les fusillades de masse qui ont eu lieu au musée national du Bardo à Tunis en mars 2015 et dans une station touristique près de Sousse en juin 2015, la Tunisie a réussi à éviter le développement d’un conflit civil de plus grande ampleur.

    Malgré les progrès réalisés, de nombreuses communautés religieuses restent affectées par l’héritage d’années de discrimination. Bien que le droit à la liberté de religion soit garanti par la Constitution, dans la pratique, les seules minorités reconnues actuellement sont les communautés chrétienne et juive. D’autres groupes non reconnus, comme les bahá’í.e.s, sont soumis à de strictes restrictions dans la pratique de leur culte. Si la Tunisie ne possède aucune loi condamnant explicitement l’apostasie ou le blasphème, les articles du code pénal relatifs à l’ordre public et aux bonnes mœurs ont néanmoins été invoqués dans certains cas pour sanctionner des Tunisien.ne.s qui avaient choisi de se convertir au christianisme ou de s’identifier en tant qu’athé.e.s.

    La situation actuelle en Tunisie est particulièrement précaire pour ces personnes, qui sont généralement identifiées comme étant de culture musulmane et au sujet desquelles aucune donnée n’est disponible. Certaines préfèrent d’ailleurs taire leurs croyances, par peur des poursuites et de la stigmatisation. D’autres peuvent ne pas se considérer comme athées mais simplement décider de ne pas suivre l’interprétation commune de l’islam, ce qui les expose à des persécutions. C’est ainsi que, pendant le mois de Ramadan en 2017, des non-jeûneurs (fattaras) ont été condamnés sur la base des articles 226 et 226 bis du code pénal (atteinte à la décence et aux bonnes mœurs) pour avoir mangé, fumé ou bu en public. Des incidents similaires ont été rapportés par un collectif d’organisations de la société civile en 2019, comme celui d’un propriétaire de café à Kairouan condamné à un mois de prison avec sursis et à une amende pour atteinte publique aux bonnes mœurs parce qu’il avait gardé son café ouvert pendant les heures de jeûne du Ramadan.

    Pendant des décennies, les gouvernements successifs de la Tunisie ont défini son identité nationale comme étant arabe et musulmane. En plus de marginaliser les minorités religieuses, cette définition a aussi mis à l’écart la population amazighe autochtone du pays au fil d’un long processus d’assimilation. Le décret-loi n° 59-53 de 1959 interdisait en particulier l’utilisation de « noms qui n’ont pas de racine arabe, sauf s’ils ont un usage établi de longue date dans le Maghreb arabe ». Il s’agissait d’une discrimination évidente à l’égard de tous les groupes non arabes, et en particulier de la communauté amazighe, obligée de s’enregistrer en utilisant des noms arabes. Ces dernières années, il y a eu plusieurs cas de personnes qui souhaitaient enregistrer leurs enfants sous des noms amazighs et en ont été empêchées à cause de cet ancien décret. Son abrogation par le ministère des Affaires locales en juillet 2020 a finalement permis aux Amazigh.e.s d’utiliser leurs noms, quoique toutes les municipalités ne sont pas au courant de ce changement et pourraient encore refuser de les enregistrer. Le préambule de la Constitution de 2014 met également l’accent sur « l’identité arabo-islamique » du pays, mais ne fait aucune mention de la communauté amazighe, qui, en plus d’avoir une ethnie distincte de la majorité arabe, vit également dans le pays en tant que peuple autochtone depuis des milliers d’années. Pourtant, ni la Constitution ni d’autres textes législatifs majeurs tels que le code pénal ne prévoient de garanties concrètes pour les droits des autochtones en général et des Amazigh.e.s en particulier. La Constitution de 2014, bien que progressiste dans de nombreux domaines, a été critiquée pour avoir négligé l’existence de cette communauté.

    La langue tamazight est également menacée : classée comme langue « sérieusement en danger » par l’UNESCO, elle ne compte plus que quelque 10 000 locutrices et locuteurs. Il existe actuellement six dialectes de la langue, parlés dans six régions du Sud de la Tunisie : Sened (disparu), Tamazret, Taoujout, Djerba, Zraoua, Douiret et Chenini/Tataouine. De nombreux enfants de ces régions n’ont jamais parlé que tamazight à la maison. Cela signifie que lorsqu’ils atteignent l’âge d’aller à l’école, où l’arabe est la principale langue d’enseignement, beaucoup sont confrontés à une langue qu’ils ne comprennent même pas. Dans de nombreux cas, les membres du corps enseignant eux-mêmes ne parlent pas tamazight, car ils sont souvent envoyés d’autres régions pour enseigner.

    Bien que, selon des estimations de la communauté, elle représente 10 à 15 % de la population nationale, la population noire de Tunisie a été jusqu’à récemment largement invisible dans la vie publique du pays. Elle a en revanche longtemps été victime de discrimination raciale. L’absence de mesures visant à prévenir et à poursuivre les discriminations raciales ainsi que de voies de recours judiciaires pour les victimes de racisme a historiquement constitué un problème pour ce groupe. En effet, jusqu’en 2018, le crime de haine raciale ou de discours de haine n’était pas légalement reconnu en Tunisie, signe d’une frilosité plus profonde au sein de la société tunisienne en matière de racisme (bien que la Constitution de 2014 prévoie l’égalité de tou.te.s les citoyen.ne.s et leur droit de vivre sans discrimination). Après une forte pression des organisations de la société civile tunisiennes, la loi organique n° 50 criminalisant la discrimination raciale a été approuvée par le Parlement en octobre 2018, première législation de la région en la matière. La loi prévoit jusqu’à trois ans d’emprisonnement et des amendes pour les actes de discrimination raciale (en fonction de la gravité de l’acte). Fait important, elle inclut la protection des migrant.e.s contre de tels actes. Cette loi a encore été renforcée en juillet 2020 lorsque le conseil des ministres a approuvé un décret portant création de la commission nationale de lutte contre la discrimination raciale, chargée de mettre en œuvre la loi de 2018. Au moment de la rédaction du présent rapport, la commission nationale n’a toutefois pas encore été créée. Grâce à cette loi, MRG et ses partenaires ont gagné un procès historique en octobre 2020, à l’issue duquel le mot à connotation raciste « Atig » (signifiant « affranchi par ») a été supprimé du patronyme d’un Tunisien noir. Bien que MRG ait formé 150 avocat.e.s à cette nouvelle loi et soutenu des dizaines de procédures judiciaires, nous avons constaté un manque de sensibilisation des policiers et des juges n’ayant pas encore été formés par l’État, ainsi qu’une peur de porter plainte ou un manque de confiance dans le système judiciaire chez de nombreux membres de la communauté noire.

    En plus de souffrir d’une pauvreté généralisée et d’une exclusion du marché du travail, les Tunisien.ne.s noir.e.s sont également largement absent.e.s de la scène politique, des médias et des autres domaines de la vie publique. La discrimination s’étend jusqu’à la scolarité et affecte la capacité des jeunes Tunisien.ne.s noir.e.s à accéder à l’éducation. Des enquêtes menées par l’association Mnemty ont révélé que les régions à forte concentration d’élèves noir.e.s, en particulier dans le Sud, avaient tendance à manquer de ressources au niveau des infrastructures sociales et sanitaires et présentaient un taux plus élevé d’absentéisme chez les élèves noir.e.s, affecté.e.s au travail des enfants pendant les heures de classe. Cette situation se traduit en fin de compte par des taux disproportionnés de décrochage scolaire dans la communauté, lesquels déterminent les perspectives de ces jeunes en matière d’emploi et de vie publique. Cela illustre l’importance de promouvoir des mesures positives de lutte contre la discrimination raciale et la stigmatisation allant au-delà de la criminalisation des actes à caractère raciste, une tâche dont la commission nationale devrait être chargée.

    Autre problème actuel pour nombre de Tunisien.ne.s noir.e.s : l’amalgame avec les migrant.e.s subsaharien.ne.s, qui forment un groupe distinct. Si, comme les Tunisien.ne.s noir.e.s, les migrant.e.s subsaharien.ne.s sont victimes de discrimination raciale, leur situation est encore aggravée par la barrière de la langue, les problèmes de papiers et un accès limité à l’éducation et aux soins de santé. Ils et elles sont fréquemment victimes d’abus, d’exploitation et même d’attaques ciblées. Un certain nombre d’incidents ont mis en évidence les menaces auxquelles les migrant.e.s subsaharien.ne.s sont confronté.e.s, notamment l’attaque à l’arme blanche contre trois étudiants congolais en 2016 et l’agression, en août 2018, de plusieurs personnes ivoiriennes, dont une femme enceinte. En décembre 2018, Falikou Coulibaly, figure de proue de la lutte contre le racisme et président de l’Association des Ivoiriens en Tunisie (AIT), a été poignardé à mort à Tunis. À travers son réseau de points anti-discrimination, MRG a documenté des centaines de cas de discrimination et d’exploitation à l’encontre de migrant.e.s subsaharien.ne.s en 2019 et 2020.

  • Environnement

    La République tunisienne a des frontières avec l’Algérie et la Libye et possède un littoral méditerranéen de 1 300 kilomètres.

    Alors que la capitale et les régions côtières du pays ont bénéficié de l’essentiel de ses investissements et infrastructures, d’autres régions – en particulier le Sud et l’Ouest – se sont à peine développées et connaissent certains des taux de pauvreté les plus élevés. 70 % des personnes vivant dans l’extrême pauvreté habitent dans le Nord-Ouest, le Centre-Ouest et le Sud-Ouest, alors qu’elles ne représentent que 30 % de la population totale.

    Histoire

    Les Amazigh.e.s sont un peuple autochtone de la région de l’actuelle Tunisie et d’autres pays voisins, formant ensemble la région que les Amazigh.e.s appellent Tamazgha. Les Phénicien.ne.s se sont installé.e.s sur la côte méditerranéenne au Xe siècle avant J.-C., fondant ensuite la ville et l’empire de Carthage avant que la région ne tombe sous domination romaine. Les Arabes ont conquis la région au VIIe siècle et y ont introduit l’islam. La domination arabe a donné lieu à des rébellions amazighes et à des périodes de domination amazighe. Un important mouvement migratoire de personnes juives vers la Tunisie a eu lieu au XVe siècle. La communauté juive tunisienne était l’une des plus anciennes et des plus importantes d’Afrique du Nord. Vers le Xe siècle, les juif.ve.s étaient considéré.e.s comme les « gens du Livre » (ahl al-kitab) dans les pays musulmans, un statut qui les rendait dignes de protection. En général, les personnes juives n’étaient pas contraintes de se convertir, mais étaient soumises à de nombreuses restrictions. Ces règles étaient plus ou moins strictement appliquées en fonction des circonstances locales.

    Face à une telle adversité, les communautés juives sont restées soudées en s’appuyant sur la solidarité au sein de leur groupe local, qui gravitait autour d’une synagogue, et sur le traitement dont elles bénéficiaient de la part des autorités supérieures. Leurs membres sont restés dans les villes, exerçant en tant que commerçants et artisans.

    La Tunisie a été intégrée à l’Empire ottoman à la fin du XVIe siècle, puis, en 1881, la France a damé le pion à l’Italie et établi un « protectorat ». Comme dans d’autres colonies françaises, la communauté juive y menait une vie prospère, mais durant la brève occupation allemande de la Tunisie pendant la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de ses membres ont été envoyés dans des camps de travail forcé.

    Après deux années de résistance tunisienne contre le pouvoir colonialiste français, la Tunisie a obtenu son indépendance en 1956 et la monarchie a été abolie l’année suivante. La population juive de Tunisie n’a cessé de diminuer, passant de plus d’un million de personnes en 1948 à 20 000 après la guerre israélo-arabe de 1967 ; elle ne compte plus qu’entre 1 500 et 2 000 personnes aujourd’hui. La politique post-coloniale de la Tunisie, inaugurée par le régime autoritaire du président Habib Bourguiba entre l’indépendance (1956) et 1987, a largement marginalisé le rôle des groupes n’entrant pas dans l’étroite définition de l’identité arabe et musulmane sunnite promue par l’État.

    Cette politique a été largement poursuivie de 1987 à 2011. La Tunisie était alors dirigée par un président autoritaire, Zine El Abidine Ben Ali, arrivé au pouvoir par un coup d’État sans effusion de sang après avoir fait déclarer Bourguiba, le premier président tunisien, mentalement inapte à exercer ses fonctions. Ben Ali a marché dans les pas de son prédécesseur en se focalisant sur la modernisation économique sans se soucier de la pluralité politique ou des droits humains, à l’exception de certaines avancées en matière de droits des femmes.

    À partir de 1994, le régime de Ben Ali a adopté une ligne dure à l’égard du parti Ennahdha, le principal mouvement islamiste du pays, poussé à la clandestinité. Le président Ben Ali s’est servi de la menace islamiste pour bâillonner toute autre opposition. Face à une opposition légale faible et divisée et avec un écart entre riches et pauvres plus faible que dans n’importe quel autre pays africain arabe, la Tunisie est longtemps restée largement dépolitisée. Le gouvernement, majoritairement laïc, pro-occidental, mais autoritaire, considérait la poursuite de la croissance économique comme primordiale et craignait que le tourisme et sa stratégie de croissance basée sur l’investissement s’effondrent si l’opposition islamique du pays était autorisée à militer. Pour les critiques, les mesures de sécurité, et notamment les nombreuses détentions, allaient bien au-delà de ce qui était nécessaire pour contrer la menace islamiste.

    En janvier 2011, après 23 ans sous le régime autoritaire de Ben Ali, le peuple tunisien s’est uni dans un soulèvement qui a conduit à son renversement. La révolution tunisienne – qualifiée dans les médias occidentaux de « révolution du jasmin » ou de « révolution des réseaux sociaux », des noms généralement rejetés par la société civile tunisienne, qui lui préfère celui de « révolution de la dignité » – est largement reconnue comme le premier chapitre du Printemps arabe,  ayant inspiré dans son sillage une vague de soulèvements au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

    Les manifestations en Tunisie ont eu pour point de départ le geste désespéré et symbolique du vendeur ambulant Mohamed Bouazizi qui, le 17 décembre 2010, s’est immolé par le feu devant le siège du gouverneur de la province de Sidi Bouzid, l’une des régions les plus défavorisées de Tunisie, pour protester contre le harcèlement policier. Le même jour, les rues de Sidi Bouzid se sont remplies de citoyennes et de citoyens en colère et les émeutes se sont rapidement propagées à d’autres villes jusqu’à atteindre la capitale, Tunis, forçant Ben Ali à fuir en Arabie saoudite le 14 janvier 2011.

    Depuis le renversement de Ben Ali en janvier 2011, la Tunisie a réussi à établir une démocratie fonctionnelle et a pris un certain nombre de mesures positives pour promouvoir les droits humains dans le pays, notamment la rédaction de la Constitution progressiste de 2014. Celle-ci a été suivie d’un certain nombre d’autres changements législatifs qui ont bénéficié à ses minorités, notamment l’adoption en octobre 2018 d’une loi criminalisant la discrimination raciale.

    Gouvernance

    Depuis la révolution de la dignité de 2010 et 2011 et l’éviction du président Zine El Abidine Ben Ali et de son régime autoritaire après plus de deux décennies de répression politique, la Tunisie a réalisé des progrès remarquables dans sa transition vers une démocratie fonctionnelle. En 2015, quatre ans seulement après le soulèvement, la Tunisie avait déjà adopté une nouvelle Constitution et organisé des élections législatives équitables. Un gouvernement de coalition a été formé la même année à l’issue de négociations entre le parti laïque Nidaa Tounes et le parti islamiste Ennahdha, qui, en mai 2016, a abandonné son étiquette islamiste pour se redéfinir comme un parti de démocrates musulmans.

    La coalition gouvernementale entre les partis laïque et islamiste a dirigé le pays par consensus jusqu’aux élections de 2019. Pendant cette période, le gouvernement s’est principalement concentré sur la croissance économique et n’a accordé que peu d’attention aux questions de droits humains et de droits des minorités. La création, par le défunt président Béji Caïd Essebsi, d’une commission présidentielle baptisée « COLIBE » (Comité des libertés individuelles et de l’égalité) et composée d’expert.e.s juridiques chargé.e.s de réformer l’arsenal juridique dans le respect de la Constitution de 2014 et des normes internationales en matière de droits humains a constitué une occasion inégalée de déployer à long terme les droits humains dans le pays. Les travaux de cette commission se sont conclus sur l’élaboration d’un rapport qui recommandait notamment la dépénalisation de l’homosexualité et l’égalité entre hommes et femmes en matière de droits de succession. Ce rapport a divisé l’opinion publique tunisienne.

    Le débat sur les droits humains et les libertés individuelles en Tunisie a resurgi pendant la campagne présidentielle de 2019, lors de laquelle les candidat.e.s ont été interrogé.e.s sur leurs positions concernant les droits de différents groupes. À cet égard, le vainqueur des élections et actuel président Kaïs Saïed s’est dit défavorable à l’abrogation de la loi criminalisant les relations entre personnes de même sexe (article 230 du code pénal) ainsi qu’à l’égalité en matière de droits de succession.

    Ces débats ont été éclipsés par la fragilité de la situation sociale et économique de la Tunisie (encore affaiblie par l’épidémie de Covid-19), doublée d’une crise politique. De nombreuses manifestations ont éclaté au cours du premier trimestre de 2021 pour appeler à la démission du Premier ministre et réclamer un engagement à mettre en place des réformes politiques et économiques. Ces manifestations ont été violemment réprimées par les autorités et plusieurs militant.e.s ont été arrêté.e.s. Une nouvelle vague de manifestations a eu lieu le 25 juillet 2021, ce qui a conduit le président à prendre des mesures exceptionnelles en limogeant le Premier ministre et en suspendant les activités du Parlement, dirigé par le parti Ennahdha. Au moment d’écrire ces lignes, les mesures exceptionnelles avaient été prolongées jusqu’à nouvel ordre.

    De nombreuses raisons ont été avancées pour expliquer pourquoi la Tunisie a été le pays à avoir le mieux réussi – sinon à avoir réussi tout court – son Printemps arabe. Certain.e.s avancent l’exceptionnalisme dont elle jouissait déjà en matière de droits des femmes, d’éducation moderne et de modération religieuse, ainsi que sa population relativement homogène et l’absence de tensions communautaires. Parmi les autres facteurs, citons le rôle important des mouvements de jeunesse spontanés et des réseaux sociaux. L’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) est également considérée comme ayant joué un rôle majeur dans la politique du pays, d’abord en guidant le mouvement d’indépendance, puis en soutenant la société civile pendant la révolution et au lendemain de celle-ci. La contribution apportée par d’autres acteurs importants à des moments clés, tels que la profession juridique et l’armée, a également été reconnue.

    Néanmoins, sous Ben Ali, la Tunisie a aussi souffert de bon nombre des mêmes problèmes – répression des libertés civiles et politiques, violations régulières des droits humains, détention arbitraire, emprisonnement sans procès, torture, harcèlement des opposant.e.s politiques et corruption de l’État – qui ont rongé d’autres pays de la région à la veille du Printemps arabe. Certains de ces problèmes ont depuis été pris en main. Par exemple, la liberté d’expression et de réunion est désormais presque absolue, comme en attestent la prolifération d’organisations de la société civile, ainsi que la nouvelle Constitution de 2014, qui est fondée sur le droit civil et garantit les droits fondamentaux de tou.te.s les citoyen.ne.s.

    Cependant, si la Tunisie est effectivement reconnue comme un État laïque, la charia influence encore certaines lois et pratiques. En outre, malgré une série de réformes visant à renforcer les droits individuels – ainsi de l’introduction, en 2016, d’un amendement du code de procédures pénales donnant aux détenu.e.s le droit à un.e avocat.e en détention provisoire et réduisant ainsi la menace de torture et d’aveux forcés -, les autorités peuvent encore se livrer à des pratiques arbitraires et discriminatoires. En témoignent les graves violations des droits humains dont sont encore victimes les groupes LGBTQI+, notamment les examens anaux forcés, malgré les garanties de liberté et d’intégrité individuelles ancrées aux articles 23 et 24 de la nouvelle Constitution. Cette situation résulte en partie du maintien de l’article 230 du code pénal, qui criminalise l’homosexualité avec une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement ; comme dans d’autres domaines, les récentes avancées législatives sont parfois contredites par une législation plus ancienne qui n’a pas encore été modifiée.

    Dans un certain nombre d’autres pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, la conversion à une autre religion que l’islam est considérée comme une apostasie et celles et ceux qui choisissent de pratiquer une autre foi s’exposent à de lourdes peines, y compris la mort. En Tunisie, la Constitution de 2014 ne prévoit aucune interdiction de la conversion et va même jusqu’à interdire activement, à son article 6, les attaques contre les personnes converties. Il n’en demeure pas moins que les personnes qui choisissent de renoncer à l’islam, que ce soit pour se convertir à une autre religion ou par conviction athée, peuvent subir une forte pression sociale, particulièrement si elles font connaître leurs croyances aux autres. Dans un certain nombre de cas, des articles du code pénal relatifs à l’ordre public et aux bonnes mœurs ont été invoqués pour sanctionner des Tunisien.ne.s qui avaient choisi de se convertir au christianisme ou de s’identifier en tant qu’athées.

    À ce jour, la Cour constitutionnelle, qui devrait entre autres être chargée d’examiner les disparités actuelles entre les garanties constitutionnelles de 2014 et certaines lois antérieures, n’a pas encore été élue.

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