MRG accueille chaleureusement une décision judiciaire historique mettant fin à un élément important de l’héritage esclavagiste en Tunisie

15 October 2020

Le Tribunal de Première Instance de Médenine (Tunisie) a rendu un jugement historique hier en faveur de Monsieur Hamdane Atig Dali, 81 ans, originaire de Djerba, qui réclamait le droit de retirer le nom « Atig » (qui signifie « affranchi par ») de son nom de famille grâce au soutien juridique et légal de Minority Rights Group International et de l’association tunisienne Mnemty.

Karim, le fils de Hamden, âgé de 39 ans, diplômé d’un Master en anglais, travaille comme réceptionniste dans un hôtel à Djerba. L’affaire remonte à 2017, quand Karim et Hamden déposèrent une demande auprès du tribunal de première instance de Médenine pour supprimer le nom « Atig » de leur nom de famille en raison de la connotation péjorative de mépris et d’humiliation. Le mot, qui signifie « libéré.e par », fait référence à l’héritage de l’esclavagisme dans le pays. Bien que l’esclavagisme ait été aboli en 1846 en Tunisie, plusieurs Tunisien.ne.s noir.e.s en portent encore les traces dans le sud du pays.

« Cette décision est très importante », explique Silvia Quattrini, la coordinatrice des programmes MENA de MRG. « Porter ce nom est un rappel continu de l’héritage de l’esclavagisme. Ce jugement ouvre la route à des procédures semblables pour d’autres Tunisien.ne.s noir.e.s qui pourront à leur tour changer leur nom et véritablement faire le choix de leur identité. »

À l’époque, en 2017, le tribunal avait d’abord débouté les plaignants, faute d’un comité chargé de traiter les questions relatives aux patronymes. Plus tard la même année, Karim avait envoyé une lettre au Ministère de la Justice par l’intermédiaire d’un avocat pour supprimer le mot dérogatoire de son nom dans les documents officiels. Se demande fut à nouveau rejetée, en raison de l’absence d’un comité spécial chargé de ces questions.

En août 2020, la famille Dali, assistée par notre avocate Hanen Ben Hassana, a déposé une demande pour retirer de leur patronyme l’humiliant qualificatif. Pour sa plaidoirie, Maître Ben Hassana s’est appuyée sur l’article 2 de la loi organique n°50 du 23 octobre 2018, relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale définie, selon l’article, comme « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence opérée sur le fondement de la race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique ou toute autre forme de discrimination raciale au sens des conventions internationales ratifiées, qui est à même d’empêcher, d’entraver ou de priver la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité, des droits et libertés, ou entraînant des devoirs et des charges supplémentaires ». Me Ben Hassana s’est également appuyée sur les articles 21, 23 et 49 de la Constitution tunisienne, puisque le nom « Atig Dali » perpétue la discrimination, l’humilité et l’insulte de la dignité humaine.

Par ce jugement, l’officier de l’état civil a été autorisé d’inscrire le nom « Dali » au lieu de « Atig Dali » sur tous les documents officiels, y compris les extraits de naissance selon les dispositions de l’article 63 de la loi sur l’état civil du 1er août 1957. Ce jugement relève du chef du tribunal de première instance de la région où la décision est prise, comme décidé par le tribunal administratif.

« Nous remercions Messieurs Hamden et Karim pour leur courage et persévérance qui redonnent de l’espoir pour toutes les familles tunisiennes noires dont les noms portent encore de pénibles références à l’esclavagisme et au racisme », souligne Zied Rouin, consultant local de MRG et coordinateur de Mnemty. Avec beaucoup de courage, Karim répète qu’il « est né libre. Il est libre ».

Deux ans après l’adoption de la loi organique 50-2018 relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, MRG souhaite rappeler les autorités tunisiennes de leur devoir de traiter les crimes de racisme et de protéger les victimes de discriminations. Nous recommandons aux autorités tunisiennes les mesures suivantes, notamment :

  • Créer et activer en urgence le Comité National de lutte contre la Discrimination Raciale, comme prévu par la loi 50-2018 ;
  • Former des comités locaux spécialisés dans l’examen des demandes de retrait des noms à connotations racistes et discriminatoires ;
  • Respecter leurs obligations légales et éthiques et en formant des policier.e.s qualifié.e.s pour traiter les victimes de discrimination raciale ;
  • Former les juges et les journalistes sur la loi organique relative à l’élimination de la discrimination raciale ;
  • Etablir des mécanismes clairs pour déposer des plaintes en cas de préjudice pour garantir la justice, surtout pour les migrants en situation irrégulière ;
  • Développer une stratégie et un plan d’action pour éliminer les pratiques racistes et xénophobes.

« MRG remercie également les associations partenaires de son réseau Points Anti-Discrimination qui assure la documentation de plusieurs cas de discriminations depuis 2018, et en particulier Mnemty qui milite depuis 2013 sur les problématiques liées aux noms », ajoute Quattrini. « Nous remercions en particulier tou.te.s les avocat.e.s qui se sont porté.e.s bénévoles dans notre clinique juridique. Ce que nous réalisons aujourd’hui est le fruit de cet effort collectif. Il s’agit d’un pas historique qui se dirige vers l’accomplissement de la dignité et de l’égalité effective. »

« Félicitations à toutes les associations et à tous les militant.e.s qui luttent contre toutes les formes de discrimination dans un souci de garantir la dignité pour tou.te.s. Certes, c’est la victoire de M. Hamdan, mais c’est notre victoire et la vôtre aussi. C’est la victoire de toute la Tunisie », conclut Rouin.

Notes aux éditeurs

  • Minority Rights Group International (MRG) est une organisation de premier ordre dans le domaine de la défense des droits humains. Nous travaillons à faire respecter les droits des minorités ethniques, religieuses et linguistiques, ainsi que des peuples autochtones. Nous travaillons avec plus de 150 partenaires dans plus de 50 pays.
  • Les ressources en ligne de MRG sur la Tunisie : dans notre annuaire des minorités, le rapport « Identity and Citizenship in Tunisia: The Situation of Minorities after the 2011 Revolution » (2018).
  • Opportunités d’interview :
    • Zied Rouin, consultant local à MRG et coordinateur de projet à Mnemty
    • Saadia Mosbah, Presidente de Mnemty
    • Silvia Quattrini, MRG coordinatrice de projets MENA

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