Amazighs en Tunisie

  • Profil

    Les Amazigh.e.s sont originaires d’Afrique du Nord. En tamazight, leur langue, le mot se décline au pluriel sous la forme « Imazighen », qui signifie « peuple libre ». On les appelle parfois Berbères, un nom qui vient du grec et signifie « étranger, non grec, barbare ». Ce terme, largement utilisé par les envahisseurs successifs de la région et les autorités coloniales, est toutefois largement rejeté par la communauté amazighe elle-même en raison de ses connotations négatives.

    Par rapport au Maroc et à l’Algérie, la Tunisie compte aujourd’hui une très petite communauté de locuteur.trice.s du tamazight. Le fait d’utiliser la langue comme seul critère d’appartenance influence toutefois considérablement les chiffres. Le chelha, un dialecte du tamazight principalement parlé en Tunisie, est par exemple classé comme une langue menacée et n’est aujourd’hui parlé que par environ 50 000 personnes dans les gouvernorats de Médenine, Gabès, Tataouine et Tunis, selon des sources locales (elles ne seraient toutefois plus que 10 000 selon l’UNESCO). D’autres langues ont connu un déclin similaire : tandis que, selon une étude menée en 1911 sur la langue du Sened (tamazirt) dans le gouvernorat de Gafsa, toute la ville parlait cette langue à l’époque, ce dialecte régional du chelhachelha a aujourd’hui pratiquement disparu. Il existe bien entendu de nombreuses similitudes entre le tamazight parlé en Tunisie et les dialectes usités dans d’autres pays d’Afrique du Nord. Certaines personnes communiquent plus facilement entre elles en tamazight que si chacune devait s’exprimer dans le dialecte arabe propre à son pays.

    La conséquence en est qu’après des siècles d’assimilation, de nombreux.ses Tunisien.ne.s continuent de s’identifier comme ethniquement et culturellement amazigh.e.s, même sans parler la langue, ce qui accroît la part de la population totale s’identifiant comme amazighe. Par exemple, à Sened, il n’existe aujourd’hui pas de chiffres officiels sur la proportion d’Amazigh.e.s au sein de la population totale (20 000 habitant.e.s). Cependant, si on se base sur le patronyme comme indicateur d’origine, il semble vraisemblable que la grande majorité de la population ait des racines amazighes. Bien que la plupart de ces familles, venues des villages de montagne pour s’installer à Sened, ne parlent plus chelha elles-mêmes, leur expression orale peut encore contenir des traces de la langue, tant dans le vocabulaire utilisé que dans la prononciation et l’utilisation de certains mots chelha en arabe tunisien, par ailleurs dominant.

    Contexte historique

    Les terres autochtones amazighes, également connues sous le nom de Tamazgha, englobent le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, le Sahara occidental, la Mauritanie, les îles Canaries et une partie de l’Égypte, du Mali et du Niger. On croit que les Amazigh.e.s habitent cette région depuis 10 000 ans avant notre ère. Leurs territoires ont ensuite été occupés lors des conquêtes arabes des VIIe et VIIIe siècles après J.-C. et la majorité de la population s’est convertie à l’islam.

    Des dizaines de milliers d’Arabes se sont installé.e.s en Ifriqiya et se sont mêlé.e.s à la population locale. En tant qu’autochtones, la plupart des Amazighs ne souhaitent pas être étiqueté.e.s comme une minorité, préférant l’expression de « groupe minorisé ».

    Il était interdit de parler chelha pendant l’ère Bourguiba. Si ces restrictions ne sont plus aussi strictement appliquées aujourd’hui, la langue est toujours menacée. Le problème tient à ce que la plupart des personnes connaissant le chelha n’en connaissent que des rudiments oraux ; seul un petit nombre sait aussi l’écrire, selon le système utilisé au Maroc ou en Algérie, ce qui complique considérablement l’intégration de l’enseignement du chelha dans le système scolaire.

    Jusqu’en juillet 2020, l’utilisation de noms non arabes était interdite par le décret-loi n° 59-53 de 1959, ce qui signifiait en pratique que les parents ne pouvaient pas enregistrer de noms amazighs pour leurs enfants. Ce décret a été aboli par le ministère des Affaires locales. Néanmoins, toutes les municipalités ne sont pas au courant de ce changement et pourraient toujours refuser d’enregistrer les noms amazighs.

    Enjeux actuels

    Ces dernières années, il y a eu plusieurs cas de personnes qui souhaitaient faire enregistrer leurs enfants sous des noms amazighs et en ont été empêchées à cause du décret-loi n° 59-53 de 1959. Bien que ce décret ait été abrogé en 2020, ce qui a permis aux membres de la communauté amazighe de faire usage légal de leur nom d’origine, il est encore trop tôt, à l’heure où nous écrivons ces lignes, pour évaluer si cette mesure est mise en œuvre : les municipalités semblent évaluer les requêtes au cas par cas et peuvent ne pas avoir été informées de l’abrogation du décret. Bien que la situation se soit améliorée depuis la révolution de 2011, de nombreux.ses Amazigh.e.s du Sud de la Tunisie continuent de subir une pression considérable les poussant à dissimuler non seulement leur langue, mais aussi d’autres aspects de leur culture, comme leurs vêtements traditionnels, afin d’accéder à l’emploi et à la reconnaissance sociale. Dans ce contexte, certains aspects de leur patrimoine sont désormais menacés, notamment le style traditionnel amazigh de conception architecturale des habitations. Bien que ce dernier soit mieux adapté aux conditions et aux températures locales, sa valeur n’est pas largement reconnue et beaucoup préfèrent opter pour des logements modernes.

    Dans les années 1960, le gouvernement tunisien a entrepris de construire de nouveaux villages dans la vallée, dans le cadre d’une stratégie visant à encourager les membres des communautés de montagne à s’y installer. Beaucoup ont commencé à quitter des villages comme Zraoua (un petit village du gouvernorat de Gabès) parce qu’ils n’avaient pas accès à l’eau, à l’électricité et à d’autres services. De nombreux villages amazighs se sont ainsi retrouvés à l’abandon et l’architecture traditionnelle restante s’est détériorée. Seules quelques destinations touristiques populaires ont été préservées, comme Houmt Souk sur l’île de Djerba.

    La langue tamazight est également menacée : classée par l’UNESCO en tant que langue « sérieusement en danger », elle n’est plus parlée que par environ 10 000 personnes (même si, d’après les sources locales, elles seraient au nombre de 50 000). Il existe actuellement six dialectes de la langue, parlés dans six régions du Sud de la Tunisie : Sened (disparu), Tamazret, Taoujout, Djerba, Zraoua, Douiret et Chenini/Tataouine. De nombreux enfants de ces régions n’ont jamais parlé que tamazight à la maison. Cela signifie que, lorsqu’ils atteignent l’âge d’aller à l’école, où l’arabe est la principale langue d’enseignement, beaucoup sont confrontés à une langue qu’ils ne comprennent même pas. Dans de nombreux cas, les membres du corps enseignant ne parlent pas eux-mêmes le tamazight, car ils sont souvent envoyés d’autres régions pour enseigner.

    Il y a toutefois eu des développements encourageants à d’autres égards ces dernières années. Les représentant.e.s de la communauté amazighe ont souligné que, bien que de nombreuses questions restent à résoudre, l’espace dont les militant.e.s disposent pour s’exprimer librement en public s’est considérablement élargi. Cela a conduit à l’émergence, au lendemain de la révolution, d’un certain nombre de mouvements amazighs portés en particulier par de jeunes activistes désireux.ses de faire revivre leur culture. Ces mouvements sont les plus forts dans les régions où la langue est encore parlée, comme Djerba et Douiret. Certain.e.s tentent également d’encourager la revitalisation du patrimoine amazigh pour des raisons économiques, y voyant une chance de soutenir le développement général de la communauté à travers le tourisme, l’artisanat et l’habillement.

    Il existe aujourd’hui en Tunisie quelque 13 associations amazighes, toutes fondées après la révolution, dont l’activité prend de plus en plus d’ampleur au niveau international. En octobre 2018, par exemple, le Congrès mondial amazigh (CMA) a tenu sa huitième réunion à Tunis ; c’était la deuxième fois qu’il avait lieu en Tunisie (après Djerba en 2011).

    Un obstacle sous-jacent pour les Amazigh.e.s tient à leur manque de représentation politique. Il n’y avait par exemple pas de représentant.e amazigh.e à l’Assemblée constituante lors de l’élaboration de la nouvelle Constitution, et seuls deux des 217 député.e.s avaient soutenu leur appel en faveur de l’institutionnalisation des droits culturels amazighs. Par conséquent, la Constitution ne fait aucune mention des Amazigh.e.s ou de leurs difficultés. Jusqu’à présent, c’est la société civile et non les décideur.se.s politiques ou les autorités qui exerce la pression la plus forte pour consolider les droits des Amazigh.e.s. En ce qui concerne l’enseignement de la langue amazighe, certaines associations à Matmata et ailleurs ont mis en place des cours privés. S’il n’est donc pas interdit, son enseignement est toutefois difficile à assurer sur le long terme en raison du manque de financement public. Les militant.e.s s’attachent actuellement à sensibiliser la communauté à ses droits, dans l’objectif de la mobiliser. Ces mouvements sont généralement menés dans un cadre d’unité nationale et puisent dans le patrimoine tunisien. Certain.e.s leur reprochent toutefois un manque relatif de participation des femmes, ainsi qu’un manque de coordination entre eux.

    Mis à jour en novembre 2021

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