Elections mauritaniennes 2024 : le prisme des minorités
Située à la croisée de l’Afrique « arabe » et de l’Afrique « noire », la Mauritanie est un pays marqué par de profondes divisions ethniques. Etant historiquement connue pour ses décennies de coups d’État, d’instabilité et de violations des droits de l’homme qui en découlent, sans parler de son classement constant comme le pire endroit au monde pour l’esclavage, elle compte des dizaines de milliers de personnes toujours piégées dans une servitude totale, à travers le pays.
Aujourd’hui, cependant, elle cherche à capitaliser sur ses riches ressources naturelles et sa démocratie relativement stable pour réhabiliter son image, en faisant la cour à l’investissement et l’influence internationales croissantes. Le mois prochain, elle organisera des élections présidentielles, étant prévoyez à n’être que seulement la deuxième transition pacifique du pouvoir dans l’histoire du pays.
Le président en exercice, Mohamed Ould Cheikh Ghazouani, appartient à l’élite l’ethnique à peau claire Beïdhane (littéralement « blanche ») qui, depuis l’indépendance de la Mauritanie en 1960, détient la quasi-totalité du pouvoir politique, militaire, économique et même intellectuel du pays.
Historiquement, les Beïdhanes avait réduit en esclavage la population noire haratine du pays, bien que d’autres ethnies subsahariennes soient également réduites en esclavage. Libres ou non, les Noirs de Mauritanie sont confrontés à une discrimination systémique, à une pauvreté extrême et à un déni fréquent de leurs droits humains.
Cette situation est due en grande partie à l’absence de volonté politique à changer le statu quo. Le gouvernement n’a cessé de nier l’existence de l’esclavage, créant ainsi une culture d’impunité pour les malfaiteurs et un environnement hostile aux poursuites et aux mesures anti-esclavagistes.
Les avocats signalent que le gouvernement « aurait plutôt choisi d’éviter d’agir ou même de ralentir l’appareil judiciaire, afin de ne pas entacher son image politique nationale et internationale, en risquant d’exposer l’ampleur du problème. ». La législation anti-esclavagiste à peine mise en œuvre a été décrite comme « n’étant là que pour fournir à la Mauritanie une certaine couverture diplomatique sur cette question ». Pendant ce temps, les militants anti-esclavagistes sont harcelés et emprisonnés.
L’un de ces militants est Biram Dah Abeid, le principal dirigeant de l’opposition, militant anti-esclavagiste et fondateur de l’ONG anti-esclavagiste IRA-Mauritanie. Fils d’un esclave affranchi, Abeid fait campagne depuis des décennies pour l’abolition totale de l’esclavage en Mauritanie.
Il s’est engagé à restaurer la cohésion nationale en réparant l’injustice historique de l’esclavage et les atteintes aux droits des Mauritaniens noirs. Abeid s’est également engagé à lutter pour que les Mauritaniens noirs puissent jouir de tous les droits de citoyenneté.
Toutes les communautés noires de Mauritanie rencontrent de grandes difficultés pour accéder à la citoyenneté, ce qui bloque l’accès aux services de l’État et aux droits fondamentaux tels que les soins de santé et l’éducation. À l’extérieur du pays, des milliers de Mauritaniens noirs restent des réfugiés apatrides. En 1989, un conflit armée entre la Mauritanie et le Sénégal a entraîné la mort de centaines de Mauritaniens noirs peuls (soit foulanis) et le déplacement de plus de 60 000 d’entre eux vers le Sénégal et le Mali. Environ 24 000 d’entre eux ont été autorisés à retourner en Mauritanie, mais aucun n’a pu retrouver ses terres ou obtenir la citoyenneté. Nombreux sont ceux qui vivent encore dans une extrême précarité.
Il n’est donc pas surprenant que le recensement de 2011 ait été accueilli avec méfiance par les Mauritaniens noirs, qui craignaient qu’il ne fasse qu’accentuer la discrimination raciale et prive de nombreux citoyens de leur citoyenneté. Il ne reconnaissait que quatre groupes ethniques : Maures, Soninkés, Peuls et Wolofs, et ne mentionne pas du tout les Haratines. Nécessitant une preuve de nationalité que de nombreux Mauritaniens noirs n’ont tout simplement pas, il comportait également des questions testant la connaissance de la Mauritanie qui étaient « réservées exclusivement aux Noirs ».
Le mouvement Touche Pas à ma Nationalité s’est formé en opposition au recensement. Leurs manifestations ont été violemment réprimées par la police, faisant plusieurs blessés et un mort. L’égalité d’accès à la citoyenneté étant une condition préalable à une démocratie fonctionnelle, comment les Mauritaniens noirs peuvent-ils surmonter leur marginalisation par des moyens démocratiques ? En effet, l’IRA-Mauritanie elle-même n’est pas reconnue par le gouvernement et n’a pas d’existence légale. Abeid, fréquemment victime de brutalités policières, a été arrêté et emprisonné à plusieurs reprises.
Même ceux qui ne jouent pas un rôle actif dans l’opposition peuvent se trouver privés de la liberté de voter pour elle ; ceux qui vivent dans des conditions d’esclavage ou de quasi-esclavage sont souvent contraints de voter pour le candidat choisi par l’esclavagiste – une autre raison pour laquelle les politiciens répondent en grande majorité aux besoins de l’élite beïdhane.
Cependant, ces dernières années, le président Ghazouani a fait quelques gestes en faveur du changement : il aurait rencontré des personnalités de l’opposition, dont Abeid, et a même admis qu’il pouvait subsister des cas d’esclavage (ce qui constitue un changement radical par rapport à des décennies de déni total). Même son premier ministre, Mohamed Ould Bilal, est d’origine haratine.
Mais ces gestes sont-ils des signes avant-coureurs de changement ou de simples gages d’apaisement ? Rien n’a fondamentalement changé”, déclare Salimata Lam de SOS-Esclaves, une organisation locale de lutte contre l’esclavage. Les Haratines et les Mauritaniens noirs restent largement sous-représentés au sein du gouvernement. Les attitudes à l’égard de l’opposition au niveau populaire semblent également inchangées : En février 2024, des manifestations concernant la redistribution injuste de terres à R’kiz à des Haratines qui les avaient exploitées pendant des siècles ont été accueillies par des gaz lacrymogènes, faisant plusieurs blessés.
La section française d’IRA-Mauritanie a rapporté que ces manifestants ont été soumis à une détention prolongée, « à la violence et à la brutalité… à des insultes, à des sévices physiques, à la privation de nourriture et à des actes de cruauté gratuits tels que l’interdiction faite à une jeune mère de nourrir son bébé ». Selon l’organisation, « au cours de ces événements, la constitution mauritanienne a été foulée aux pieds ».
« Au cours de ces événements, la constitution mauritanienne a été foulée aux pieds. »
Dans un tel climat, beaucoup prédisent une victoire écrasante de Ghazouani, qui a déjà remporté les élections législatives, régionales et municipales. Alors que la Mauritanie cherche à améliorer sa réputation sur la scène internationale, on pourrait espérer que cela se traduise par des progrès pour les Haratines et les Mauritaniens noirs. Pour l’instant du moins, il semble que leurs espoirs reposent sur une victoire improbable d’Abeid.
Bien que l’opposition ait à plusieurs reprises soulevé des inquiétudes quant à la nature démocratique du processus électoral, les récentes élections ont été reconnues internationalement comme étant d’une crédibilité satisfaisante. Mais dans un pays où un groupe ethnique détient la quasi-totalité du pouvoir, des élections libres et équitables ne suffiront pas à inverser la tendance pour les minorités mauritaniennes. Nous ne pouvons qu’espérer que les efforts récents pour redorer l’image de la Mauritanie représentent un appétit de changement qui ne se limite pas au nom.
Une femme Haratine puise de l’eau d’un puits. Avec l’aimable autorisation de Mamoudou Lamine Kane.