Juifs en Tunisie

  • Profil

    Installé.e.s dans l’actuelle Tunisie depuis des siècles et comptant quelque 100 000 personnes à leur apogée, les juif.ve.s ne sont plus aujourd’hui qu’entre 1 500 et 2 000 en Tunisie, dont un tiers vit dans la capitale et le reste à Djerba.

    Contexte historique

    La Tunisie comptait encore environ 20 000 juif.ve.s à la fin du XIXe siècle, dont environ 18 000 y avaient des ancêtres remontant à l’époque romaine, tandis qu’un plus petit groupe (1 000 à 2 000 personnes) était issu d’arrivées plus récentes d’Espagne et d’Italie. À en croire la tradition orale juive, leur présence sur l’île de Djerba, dans le Sud de la Tunisie, pourrait remonter à aussi loin que 586 avant J.-C., après la destruction du temple de Jérusalem par les Babyloniens.

    En 1857, des réformes visant à accorder l’égalité civile et religieuse à tous les sujets ont été introduites par Mohammed Bey, une mesure aussi dictée par les intérêts économiques européens. Avant l’occupation française de 1881 toutefois, les personnes juives de Tunisie avaient vécu pendant des siècles avec le statut de dhimmī. Si ce statut leur offrait un niveau de protection qu’elles ne connaissaient pas en Europe, ainsi que des droits qu’elles n’avaient pas au Maroc et en Algérie, il impliquait aussi un rang relativement inférieur.

    Alors que, pendant la période coloniale française et plus précisément à partir de 1910, les personnes juives pouvaient être naturalisées françaises, elles ont perdu ce statut préférentiel en 1940 à la suite de l’occupation du Nord de la France par l’Allemagne nazie et de l’installation du régime collaborationniste de Vichy dans le Sud. La communauté juive de Tunisie a en effet été ciblée par une série de lois discriminatoires édictées par la France de Vichy, comme l’interdiction d’exercer certaines professions. Ces lois devaient être soumises au bey pour signature, ce qui a permis à des gouverneurs comme Moncef Bey de ralentir leur mise en application. Cela n’a pas empêché les sentiments antisémites de se répandre et la communauté de faire l’objet d’attaques occasionnelles. La période la plus sombre fut celle de 1942 et 1943, durant laquelle la Tunisie était sous occupation italo-allemande et la population juive condamnée au travail forcé.

    À la fin des années 1940, la communauté juive avait atteint un pic d’environ 100 000 personnes. Leur situation s’est améliorée après la Seconde Guerre mondiale et dans les années précédant l’indépendance. Lorsque l’autonomie a été accordée en 1954, le nationaliste juif Albert Bessis a été nommé ministre de l’Urbanisme et du Logement, suivi par le juif André Barrouch lors de l’indépendance en 1956. Toutefois, une grande part de la communauté juive tunisienne a vu dans ces nominations un geste stratégique visant à renvoyer une image d’inclusion et à obtenir l’accès à un ancien cimetière juif dans le centre-ville de Tunis. Les deux hommes ne sont restés au pouvoir que quelques mois. Cette période a également marqué le début du déclin rapide de la population juive, qui a émigré en nombre, en trois vagues principales : après la création d’Israël en 1948, après l’indépendance en 1956 et au lendemain de la guerre israélo-arabe en 1967.

    Après l’indépendance, le président Habib Bourguiba a utilisé l’islam comme moyen de consolider l’identité nationale tunisienne. Si Bourguiba était attentif à la minorité juive et veillait à la distinguer du sionisme, qu’il dénonçait fermement, le contrôle de l’État sur la religion s’étendait néanmoins aussi aux minorités, y compris à la communauté juive. Comme la majorité de la population juive tunisienne était francophone, beaucoup craignaient que ce processus d’arabisation porte atteinte à leur identité. Au cours des décennies qui ont suivi, le nombre de juif.ve.s tunisien.ne.s n’a cessé de diminuer, jusqu’à ne plus représenter qu’une fraction de ce qu’il était par le passé.

    Enjeux actuels

    Si la communauté juive bénéficie d’une série de protections et ne fait généralement pas l’objet de persécutions directes basées sur ses croyances, des formes plus subtiles et indirectes de discrimination peuvent tout de même avoir lieu. En dépit du fait que la discrimination fondée sur la religion dans le recrutement des fonctionnaires soit interdite par la loi, la population juive tunisienne n’est pas représentée dans certains secteurs professionnels. Les raisons en sont multiples : manque de confiance en soi au niveau individuel, réticence des autres membres de leur communauté et persistance des préjugés de certains fonctionnaires (ainsi que de la population dans son ensemble) à leur égard. En conséquence, beaucoup croient ne pas pouvoir, dans la pratique, rejoindre l’armée ou occuper d’autres postes officiels à responsabilités. En outre, les Tunisien.ne.s qui assument certaines fonctions, comme celles de juge ou d’avocat, doivent prêter serment sur le Coran dans le cadre de leur cérémonie d’intronisation. Les très rares juif.ve.s et autres non-musulman.e.s tunisien.ne.s qui ont réussi à surmonter les obstacles considérables pour étudier le droit doivent alors prêter ce serment s’ils et elles souhaitent continuer à exercer cette profession.

    Selon la Constitution actuelle, les juif.ve.s tunisien.ne.s, ainsi que les autres citoyen.ne.s non musulman.e.s, ne sont pas autorisé.e.s à accéder à la présidence de la République. L’article 74 énonce ceci : « Tout électeur, homme ou femme, possédant la nationalité tunisienne depuis sa naissance, dont la religion est l’islam, a le droit de se présenter à l’élection au poste de président de la République. » Au moment de la rédaction de la nouvelle Constitution, en 2012 et 2013, aucun des membres de l’Assemblée constitutionnelle impliqués dans ce processus n’était juif : un membre de la communauté s’était présenté, mais n’a pas été élu. Plus récemment, un candidat juif s’est présenté aux élections municipales de mai 2018 à Monastir, pour le parti musulman Ennahdha. En novembre 2018, le Premier ministre Youssef Chahad a nommé l’homme d’affaires juif René Trabelsi au poste de ministre du Tourisme – un moment important pour les Juif.ve.s tunisien.ne.s, puisque seuls deux membres de la communauté avaient été nommés à des postes ministériels depuis l’indépendance auparavant.

    La communauté juive a été victime de faits d’hostilité périodiques, notamment l’attentat perpétré en 2002 devant une synagogue à Djerba, revendiqué par Al-Qaïda, qui a fait 21 mort.e.s, en majorité des touristes allemand.e.s. En 2012, un leader salafiste a appelé à tuer des juif.ve.s tunisien.ne.s, provoquant la réaction d’un représentant de la communauté juive tunisienne, Roger Bismuth, qui a porté plainte devant le procureur de la République au tribunal de première instance de Tunis.

    En août 2018, un débat a également agité les médias locaux et en ligne après qu’Ilan Raccah, un homme juif emprisonné depuis juillet 2018, s’était vu refuser de la nourriture casher à cause de groupes conservateurs qui avaient fait pression sur la prison en accusant Raccah d’être un espion israélien et de bénéficier d’un traitement de faveur. Un ami d’Ilan a par la suite été passé à tabac à Tunis par un groupe de personnes affirmant qu’il était lui aussi un espion israélien – une accusation qui n’est pas inhabituelle pour les juif.ve.s tunisien.ne.s en raison de l’idée répandue que toutes les personnes juives sont associées d’une manière ou d’une autre à Israël.

    Néanmoins, contrairement à d’autres minorités religieuses, la communauté juive est reconnue par l’État tunisien en raison de sa présence de longue date sur le territoire. Ainsi le grand rabbin est-il payé directement par l’État. Les autorités assurent par ailleurs la sécurité de toutes les synagogues. En 2019, le pèlerinage annuel juif de la Ghriba sur l’île de Djerba (un site millénaire et reconnu comme l’un des plus importants de la foi juive) a bénéficié d’une grande attention et accueilli une représentation gouvernementale.

    Mis à jour en novembre 2021

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