Ogiek in the Mau Forest, Kenya

Les droits fonciers des peuples autochtones de la Tanzanie et du Kenya : l’impact des activités de renforcement des capacités juridiques et de litige stratégique

Une récente évaluation externe indépendante s’est penchée sur les résultats 15 années de travail pour le renforcement des capacités et de programmes de litige stratégique conduits par MRG avec les minorités et les peuples autochtones d’Afrique de l’Est. L’évaluation a révélé que ces activités sont des outils puissants qui ont créé des espaces et des opportunités permettant aux communautés de s’unir autour de luttes communes et de prendre des décisions qui ont eu un impact positif sur leurs droits collectifs. L’évaluation a étudié les cas des Endorois et des Ogiek du Kenya et des Maasai de la Tanzanie. Le rapport expose que ces programmes de litiges stratégiques ont dans l’ensemble porté fruits et souligne que certaines leçons reçues au cours de leur mise en œuvre sont susceptibles d’être utiles au déploiement d’activités similaires dans le futur. Les conclusions présentées dans la version complète du rapport sont fondées sur les commentaires et les opinions obtenus directement auprès des communautés impliquées dans ces programmes. Les principaux points d’apprentissage de l’évaluation sont résumés ici, alors qu’une liste plus complète de conclusions et de recommandations figure dans le rapport.

1. Des programmes de litige stratégiques ayant pour racines des facteurs contextuels communs

Une partie de l’impact des litiges stratégiques en Afrique de l’Est est attribuable à la fondation des arguments juridiques dans des facteurs contextuels communs, soit les peuples autochtones ayant été dépossédés de leurs terres ancestrales. Les Endorois, les Ogiek et les Maasai partagent des expériences semblables en ce qui concerne la violation de leurs droits humains. Leurs droits à la terre et aux ressources ont été ignorés par les puissances coloniales, et l’arrivée subséquente d’acteurs extérieurs a entraîné l’usurpation des terres appartenant à ces communautés, ainsi que leur expulsion forcée et violente de celles-ci, sans qu’elles n’aient été adéquatement consultées ou compensées. C’est en vue de trouver des solutions à des conflits fonciers historiques que chacun de ces peuples a eu recours aux tribunaux. Parmi les autres facteurs communs, on trouve Le climat social et politique des deux pays, qui est extrêmement résistant à la reconnaissance des droits fonciers des peuples autochtones tel que protégés par le droit international. Les motivations des communautés et la façon dont celles-ci se sont engagées judiciairement pour la défense de leur droits sont également des facteurs communs: après plusieurs années d’efforts infructueux, les trois communautés ont approché MRG afin d’obtenir un soutien afin d’engager la reconnaissance de leurs droits par le système national. Les programmes de litiges fondés dans ces contextes communs ont permis un meilleur impact pour l’enrichissement des normes relatives aux droits humains et ont constitué de solides plateformes qui ont rendue possible la conduite d’activités de litige stratégique par les communautés.

2. Conséquences matérielles: un projet à long terme

Le système régional des droits de l’homme a adopté des décisions en faveur des droits fonciers des communautés autochtones sur leurs territoires ancestraux et a ordonné la restitution et la démarcation des terres, ainsi que la délivrance de titres de propriété sur celles-ci. Toutefois, les résultats palpables de ces décisions sont encore espérés et la mise en œuvre de celles-ci doit être soutenue par des programmes solides susceptibles d’engendrer des conséquences matérielles pour les communautés. En termes de réparation, le fait pour les communautés d’avoir gagné leurs causes au niveau régional est le début d’un processus. Pour les trois communautés toutefois, les conséquences matérielles de ces décisions jusqu’à présent n’ont été que minimales et la réalisation des droits confirmés par les décisions des organes régionaux est un grand défi. Leur mise en œuvre efficace est compromise par le manque des ressources humaines et d’accès au soutien financier à long terme. Ceci est le cas tant pour les ONG nationales et internationales que pour les mécanismes de protection des droits humains et les organismes gouvernementaux chargés de la mise en œuvre. Pour assurer des résultats tangibles, il est essentiel qu’un soutien adéquat soit apporté aux programmes visant la mise en œuvre des décisions régionales affirmant les droits des peuples autochtones.

3. Impact au niveau juridique national : un travail en cours

Il est difficile de mesurer avec certitude l’impact des activités de litige stratégique sur les cadres juridiques nationaux respectifs du Kenya et de la Tanzanie. Alors qu’il est évident que ces activités ont directement contribué au renforcement des capacités des communautés, il apparaît que le droit international sur les droits des peuples autochtones n’a pas encore pénétré les rouages judiciaires ou encore les normes juridiques nationales au Kenya et en Tanzanie. La formation des juges et officiers administratifs des tribunaux qui a été tenue en Tanzanie montre l’importance de ces activités pour sensibiliser les décideurs aux droits des peuples autochtones en Afrique et à travers le monde. Le litige est lui-même au cœur d’une stratégie de plaidoyer plus large qui vise à la fois à harmoniser les lois nationales avec les droits des peuples autochtones tels que protégés par le droit international et à rendre la profession juridique plus à même de réaliser ces droits. Dans cette perspective, le litige stratégique est un outil solide pour provoquer le changement. L’impact du litige stratégique se ressent principalement au niveau du renforcement des capacités des communautés et au niveau de l’avancement des normes juridiques régionales et internationales sur les droits fonciers des peuples autochtones d’Afrique, où la contribution de MRG et des organisations de peuples autochtones au Kenya et en Tanzanie est remarquable.

4. Impact social: le renforcement juridique comme impact communautaire

Au cours des processus litigieux, des changements sociaux significatifs et positifs ont été observés. Les communautés ont témoigné à l’effet d’un renforcement de leur sentiment de justice et de leurs capacités juridiques, ainsi que d’un sentiment d’unification autour de longues luttes communes. Un certain degré de changement positif dans les attitudes et les comportements d’autres parties de la société, comme les communautés voisines, les autorités locales et les médias, a également été signalé comme conséquence positive des activités de litiges stratégiques. Cet état de choses demeure toutefois fragile étant donné que ces changements ne sont pas encore accompagnés de transformations matérielles et juridiques. En outre, dans le cas du Kenya et de la Tanzanie, certaines communautés ont exprimé leurs préoccupations en relation au fait que les litiges peuvent contribuer à l’inflammation de tensions existantes et à provoquer des poussées de violence puisque le climat socio-politique est instable. Les programmes de soutien aux communautés qui opèrent dans de telles circonstances doivent être accompagnés de mesures pour l’évaluation de la sécurité et des risques et pour la prévention de la violence, et aussi prévoir l’accès à des financements adéquats en cas de violence.

5. Futures stratégies et partenariats

L’expérience des activités de litige stratégique dans le système africain des droits humains montre que celui-ci une est plate-forme fructueuse pour provoquer le changement. En dépit du fait que le processus soit souvent long, l’utilisation des mécanismes africains des droits humains est définitivement susceptible de continuer à produire des résultats juridiques positifs et progressifs pour les droits des peuples autochtones. Pour les droits fonciers des peuples autochtones, la conservation de l’environnement est un argument fondamental pour lequel davantage d’activités de plaidoyer peuvent être explorées. Le rôle des peuples autochtones dans la conservation est largement intégré dans la jurisprudence internationale, mais les gouvernements sont toujours sceptiques quant à cet argument, de sorte que de nouveaux efforts dans ce domaine pourraient avoir un impact positif. Alors que MRG est en train d’effectuer une réflexion stratégique sur ses partenariats en Afrique et ailleurs, la revue des programmes de litige stratégique et de renforcement des capacités souligne que des contextes communs forment de solides bases pour le succès de ces programmes. L’évaluation souligne aussi que l’intensification et la diversification des efforts en relation à la mise en œuvre des décisions régionales obtenues et en relation au renforcement des capacités juridiques des décideurs sont nécessaires. Il faut aussi que les bailleurs de fonds s’engagent à fournir un soutien adéquat et a long-terme pour rendre possible les changements tangibles espérés. Les communautés consultées dans le cadre de cet examen ont souligné qu’elles souhaitaient des partenariats à long terme avec MRG. Elles ont aussi exprimé l’importance du soutien continue pour le renforcement des capacités, la sensibilisation, les échanges communautaires, la participation inclusive des femmes, jeunes et aînés.  Elles en appellent aussi au soutien d’activités stratégiques additionnelles tenues en parallèle avec les activités juridiques.