
Lutter contre les discriminations à l’encontre des femmes en Tunisie : Work in progress
Depuis plus de dix ans, la Tunisie est immergée dans un processus révolutionnaire. Malgré les avancées faites depuis la révolution de 2011, les violences et les discriminations à l’encontre des femmes perdurent et s’accentuent.
A l’exception de la loi organique n° 2017-58, qui criminalise la violence à l’encontre des femmes, et de la loiorganique n° 2018-50, qui condamne toutes formes de discrimination raciale, la Tunisie ne possède pas d’un corpus législatif suffisant pour criminaliser les formes de discrimination en général. De même, il n’existe pas de définition juridique des multiples formes de discrimination dont souffrent particulièrement les femmes – les exposant ainsi aux risques les plus élevés d’invisibilité, de marginalisation et de vulnérabilité.
Pourtant, définir les différentes formes de discrimination est fondamental afin de pouvoir les identifier, les repérer, et les éliminer.
La discrimination est une violation du droit fondamental à l’égalité et doit être considérée comme une infraction pénale. Elle prend la forme d’un traitement différencié entre des personnes ou des groupes placés dans une situation comparable sur la base d’un critère déterminé, ce qui entraine des privilèges pour certain.es et des désavantages et une position d’inégalité, d’injustice et d’iniquité pour les personnes discriminées. La discrimination est basée sur un ou plusieurs des critères relatifs à l’instar de l’origine, la couleur de peau, le sexe, la situation familiale, la grossesse, l’apparence physique, le patronyme, l’état de santé, le handicap, les caractéristiques génétiques, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’âge, les opinions politiques, les activités syndicales, l’appartenance ou non à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, lieu de résidence, etc.
La discrimination est intrinsèquement liée à la violence. Promouvoir la lutte contre la violence à l’encontre des femmes est donc un élément central de la lutte contre toutes les formes de discrimination.
La campagne annuelle internationale « 16 Jours d’activisme contre la violence basée sur le genre à l’encontre des femmes et des filles » vise à prévenir et éliminer les violences liées au genre. Lancée le 25 novembre, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’encontre des femmes, la campagne sera rythmée de divers événements et activités et prendra fin le 10 décembre, qui marque la Journée des droits humains, indiquant ainsi que la violence à l’encontre des femmes constitue la violation des droits humains la plus répandue dans le monde (selon ONU Femmes).
A cette occasion, nous proposons ces deux interviews élaborées lors d’ateliers organisés en Tunisie dans le contexte de nos efforts en faveur de la lutte contre les formes de discrimination.
La première interview est issue d’un atelier de formation pour les avocat.e.s en Tunisie au sujet du cadre juridique international pour l’élimination de la discrimination à l’encontre des femmes.
Silvia Quattrini, associée Afrique du Nord chez MRG, nous y explique l’importance de la formation des avocat.e.s à ce sujet pour renforcer leur capacité à prendre en charge les victimes de discrimination.
Silvia souligne en outre la nécessité d’aborder toutes les conventions internationales que la Tunisie a ratifiées dans le contexte des droits humains, notamment la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de violence à l’égard des femmes (CEDAW), ainsi que le cadre régional africain – à savoir le protocole Maputo à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
Se servant de l’expérience acquise par MRG et nos organisations partenaires dans le contexte du projet « All4All » pour l’élimination de toutes les formes de discrimination, Silvia soulève l’importance cruciale d’adopter une perspective intersectionnelle sur la question, incluant la discrimination à l’encontre des femmes noires, des femmes avec handicap, des femmes appartenant à des minorités religieuses, etc. Cette approche nous permet de mieux comprendre les formes multiples et croisées de discrimination auxquelles ces femmes sont confrontées, ce qui nous rend plus efficaces dans la lutte contre ces formes de discrimination.
Dans cette deuxième interview, nous passons notre micro à l’avocate et militante féministe tunisienne Hela Ben Salem. Dans le contexte d’un atelier pour les avocat.e.s tunisien.e.s au sujet du cadre législatif national pour l’élimination de la violence à l’encontre des femmes, Hela Ben Salem soulève que l’intérêt de l’atelier se manifeste par l’échange d’expertises et d’expériences entre avocat.e.s issu.e.s de différentes régions de la Tunisie en ce qui concerne l’application du corpus juridique existant. Elle juge que cinq ans après l’adoption de la loi relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes, la législation est appliquée de manière disparate d’un tribunal à l’autre, créant de ce fait un écart entre le texte de loi et la réalité du terrain.
« Cette lacune et la faible mise en application de la loi sont largement dues aux difficultés liées à la sensibilisation à l’importance de cette législation », explique Hela Ben Salem.
Elle ajoute que l’absence d’une stratégie nationale – ou son inactivité – a amplifié le phénomène des féminicides.
L’avocate conclut que c’est principalement la responsabilité de l’État de mettre en application la prise en charge totale des femmes victimes de violence, d’autant plus qu’un protocole conjoint est en place pour cette prise en charge impliquant les ministères de l’intérieur, de la justice, de la femme, de la santé et des affaires sociales.
MRG poursuit ses efforts avec ses organisations partenaires pour mettre fin aux formes de discrimination en Tunisie par le biais de l’action juridique. Dans le cadre de notre projet, nous avons joint nos efforts à ceux d’Avocats Sans Frontières (ASF), une organisation incontournable dans le domaine de l’accès à la justice, pour fournir une action juridique renforcée contre toutes les formes de discrimination, y compris mais sans s’y limiter, celle fondée sur l’identité de genre. Le projet facilite également le renforcement continu des capacités et le mentorat des avocat.e.s tunisien.ne.s, qui sont des acteurs clés du processus de justice dans le pays, et peuvent fournir des services d’aide juridique accessibles et de haute qualité. Leur rôle permet de responsabiliser les décideurs et la société dans son ensemble face aux normes juridiques auxquelles la Tunisie s’est engagée. Nous sommes toujours disponibles pour offrir des services juridiques aux personnes discriminées.
Extrait de l’une des deux interviews. Crédit : Minority Rights Group.