
Démanteler l’héritage de l’esclavage en Tunisie grâce au travail juridique
Par Achref Medini, ancien responsable du plaidoyer, et Silvia Quattrini, associée Afrique du Nord
En 2020, un tribunal de Médenine, une ville du sud de la Tunisie, a rendu un jugement historique en faveur de Hamden Dali, un homme de 81 ans originaire de Djerba, lui permettant de supprimer le préfixe « Atig » de son nom de famille. Le mot signifie « affranchi.e par » et témoigne clairement l’histoire de l’esclavage dans le pays. Cette décision a permis à la famille Dali de mettre de côté la stigmatisation et l’humiliation des connotations portées par ce préfixe. « Cela nous rappelle l’histoire de l’esclavage et fait souffrir les nouvelles générations, nos enfants et nos petits-enfants », explique Kerim, le fils de Hamden.
Bien que l’esclavage ait été aboli dans le pays en 1846, de nombreux-euses Tunisien.ne.s noir.e.s, notamment dans le sud, portent encore cet héritage à travers leur nom et dans leur vie quotidienne. Hedia Dali, la fille de Hamden, a déclaré que « cette expression donne le sentiment d’être asservi.e ». Minority Rights Group International et notre partenaire Mnemty, la principale organisation de la société civile tunisienne luttant contre la discrimination raciale, ont apporté un soutien juridique dans l’affaire Dali.
En août 2020, avec le soutien de maitre Hanen Ben Hassana, avocate du réseau d’assistance juridique de MRG, la famille Dali a déposé une demande en vue de supprimer le mot humiliant de son nom. Après l’annonce de la décision historique par le tribunal en octobre 2020, Ben Hassena a soutenu toute la famille Dali – ses enfants et petits-enfants – pour que leurs noms soient modifiés sur tous leurs papiers d’identité, y compris leurs cartes d’identité nationales et leurs certificats de naissance et de mariage. Cette mesure était une étape nécessaire pour éviter tout problème juridique à l’avenir, mais surtout, elle les a également soulagé de la peur et de l’intimidation ressenties lorsqu’ils/elles devaient soumettre des documents pour une raison ou une autre.
L’argumentation de Ben Hassena faisait référence à l’article 2 de la loi organique 2018-50 du 23 octobre 2018 relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Cette définition de la discrimination raciale s’appuie sur celle fournie par l’article 2 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Ce verdict historique a ouvert la voie à d’autres familles de changer de nom et de sortir enfin de cette séquelle discriminatoire de l’esclavage.
Depuis 2020, les membres de trois familles ont réussi à changer leurs noms, passant de « Atig » Dali, « Atig » Ben Salah, « Atig » Ziri à simplement Dali, Ben Salah et Ziri. Une famille a été assistée par l’avocat Alaa Khemiri et son cas a été jugé positivement par le tribunal de première instance de Tunis en janvier 2022. Une autre famille a également été jugée positivement par le tribunal de Médenine en mai 2022, avec le suivi de l’avocate Rim Abdeljaoued et le soutien de Ben Hassena. MRG a continué à apporter son soutien à ces familles à travers le réseau d’avocat.es de l’organisation, qui font partie de la clinique juridique initialement mise en place par ses programmes Points anti-discrimination et All4All.
Dans cette vidéo, l’avocat Alaa Khemiri donne son témoignage sur une affaire sur laquelle il a travaillé concernant la suppression du prefix « Atig ».
MRG poursuit ses efforts avec ses partenaires pour mettre fin à l’héritage de l’esclavage en Tunisie par des actions en justice. Dans le cadre de notre programme, MRG a joint ses efforts à ceux d’Avocats Sans Frontières (ASF), une organisation leader dans le domaine de l’accès à la justice, pour fournir une action juridique renforcée contre toutes les formes de discrimination, y compris mais sans s’y limiter, celle fondée sur la race. Le projet facilite également le renforcement continu des capacités et le mentorat des avocat.e.s tunisien.ne.s, qui sont des acteurs clés du processus de justice transitionnelle du pays, et peuvent fournir des services d’aide juridique accessibles et de haute qualité. Leur rôle permet de responsabiliser les décideurs et la société dans son ensemble face aux normes juridiques auxquelles la Tunisie s’est engagée. Nous sommes toujours disponibles pour offrir des services juridiques aux familles qui souhaitent retirer le marqueur discriminatoire de leur nom.
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Image:Still from the video interview.
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